Éditorial
«À chaque poème, je me retrouve désarmée.
J’ai oublié ce qui précède. Tout commence. Rien commence.»
A. Salager, entretien avec J.-Y. Masson.
Je connais peu de définitions aussi exactes du mot poème que ces quatre courtes phrases d’Annie Salager qui est notre invitée pour cette livraison. Celle que Robert Sabatier qualifie de «femme-buisson» ou de «femme-désert» nous donne une brassée d’inédits, l’une des raisons essentielles de nos invitations. F.J. Temple, qui présente et gère au mieux le dossier, a su réunir autour d’elle les prestigieuses collabo-rations de J.-Y. Masson, Daniel Leuwers, M.-C. Bancquart, Saleh Diab, J.-Y. Debreuille et André Ughetto. Le fait que trois piliers d’Autre SUD soient impliqués dans l’affaire a certainement un sens.
Joël Bastard, Nada Gholam, François-Noël Deman, Nicole Drano Stamberg et le susnommé Temple, dont c’est le tour de garde, enrichissent et peuplent de leurs poèmes l’Espace méditerranéen.
Au Partage des voix se font entendre celles d’Emmanuel Golfin, de Lucie Scheler, de Claude Mourthé, de Bernard Fournier et de Jean-Pierre Cramoisan. Ce qui fait dix poètes si l’on ne compte Mario Campaña dont la Voix d’ailleurs est équatorienne.
La Tribune libre, un peu austère mais passionnante, est consa-crée au langage dans la chimie du vivant et signée Roger Guedj. Pour saluer notre ami Eugène, dont on célèbre le centième anniversaire de la naissance, Marianne Auricoste nous a confié quelques pages de son ouvrage de souvenirs à paraître (Guillevic, les Noces du Goéland).
Pour le reste, théâtre, chroniques et notes de lecture (quinze pour la poésie contre deux pour le roman et deux pour les essais), la chronique de l’accompagnateur de Daniel Leuwers et celle d’Oc de Serge Bec, toujours fidèles au poste.
Afin de terminer en beauté cet éditorial qui annonce une livraison aussi riche et variée qu’à l’ordinaire, voici quelques lignes du «poète» invité (Ughetto souligne fort justement l’impossibilité d’«utiliser le mot “poétesse”, dont la conno-tation de préciosité n’a rien à voir avec la poésie que nous analysons »), à savoir Annie Salager :
Clos sur son ombre le dédale du corps
comblé d’espace inaccompli
d’espace imaginaire
l’effusive odeur sur la peau
fruitée par l’abondance de la langue
où le monde naît
d’elle sous la cassure du flot
puisque vivre au fond
de la langue est impossible.
Mais de cette impossibilité même se fortifie la langue ; Salager, femme-océan.
Jacques Lovichi.
Annie Salager
Transparences
(extrait)
«Fait de poussière et de temps, l’homme dure
Moins que la légère mélodie,
Qui n’est que du temps»
J.L. Borges.
Aimez-vous la mer ?
J’entends la mer balayer le rivage
entrer dans la chambre
la rumeur du sablier
le ciel est noir d’étoiles
d’infinis lis en poussière de mer
la nuit me peuple
j’ai soif d’eux
dans les senteurs du maquis
l’instant du vivre
tient en haleine
*
L’air l’eau
temps mêlés
corps invisibles
transparences
où l’ombre tâtonne
à des puits de joie
et mort scintille
cassée par
quelques secondes
de lumière
en stases
où la mémoire
se défait sous
les transparences
les corps invisibles
les temps mêlés